The Artchemists : 24 heures héro : voir Junkie city et ne pas mourir …
Je ne sais si vous vous souvenez mais il y a peu, nous avons taillé un short assez énergique à la série Moi Christiane F. version Amazon Prime instagrammable, cool, sympa « que même quand je vomis, je suis super belle, les mecs ». Pour mettre les choses carrément au point, nous avions fait la comparaison avec le livre et le film inspirés par la vie de toxico de la vraie Christiane F. telle qu’elle l’a exposée aux journalistes du Stern qui en ont tiré le best seller que l’on sait. Nous aurions aussi bien pu citer le roman 24 heures héro qui s’inscrit désormais dans nos références ARTchemisiennes comme un bouquin incontournable sur la réalité de la drogue côté consommateur.
Charleroi, c’est Junkie City
D’entrée, on balaye le côté heroin chic/ came glamour. 24 heures héro nous parachute dans les squats les plus insalubres de Charleroi, jadis centre névralgique du charbonneux Pays Noir, aujourd’hui 5eme agglomération belge dotée d’industries florissantes, de lieux culturels prestigieux … et d’une prolixe population de camés. Bref Charleroi, c’est Junkie City, ainsi que l’explique Arnaud, héroïnomane notoire et héros de ce roman on ne peut plus naturaliste. A ses côtés, Nadia, son amoureuse et sa compagne de shoot. Tous deux vont nous raconter à intervalle régulier et comme en écho une journée de leur misérable existence, depuis 6h47 un matin jusqu’au lendemain 6h48.
Trouver de la came, à tout prix
Une journée dédiée à la traque : trouver de la came, à tout prix, alors qu’on n’a plus une thune, rien à bouffer, un corps délabré, pas de maison, rien pour se laver, qu’on doit se battre pour survivre face aux autres camés, aux dealers, aux rançonneurs. Faire la manche, voler, se prostituer, détrousser les morts, agresser les proches … s’entre-tuer même sur fond de décharges, de seringues usagées et de bâtiments abandonnés. Alors que tout bascule, que peut-être une voie de sortie se dessine pour échapper à cet enfer quotidien auquel rien ne prédestinait ces deux amants … quoi que … Via ce compte à rebours d’une incroyable violence, le livre interroge à la fois le pourquoi et le comment.
Un cynisme corrosif
Avec une plume aussi crue que drôle, car dans ce monceau d’ordures, Safir Essiaf et Philippe Dylewski ne manquent guère d’un cynisme profondément corrosif, comme ultime arme à la totale désespérance. Peut-être parce qu’ils connaissent cet univers comme leur poche, depuis le temps qu’ils sillonnent Charleroi pour aider SDF et drogués à ne pas totalement sombrer. C’est que le
premier traîne des années d’expérience comme éducateur spécialisé tandis que le second est psychologue et détective. Un duo détonnant qui porte un regard particulièrement critique sur la manière dont les autorités tentent de gérer le problème.
Remettre les pendules à l’heure
Avec à la clé plusieurs vérités qu’ils assènent et qui défoncent les préjugés et les bonnes consciences : non, on ne tombe pas dans l’héro dés le premier shoot, oui prendre de la came c’est bon, exaltant même, surtout que les premières prises ont principalement lieu dans les cercles proches avec des frangins, des potes. Les dealers n’arrivent qu’après dans le circuit, mais l’initiation se fait dans l’intimité, sans que les adultes s’en rendent compte généralement, et ça on ne le dit pas assez. Pour le coup, 24 heures héro remet les pendules à l’heure, en déclinant à rebours les différentes étapes de la décomposition de l’être, sur fond de clivages familiaux, jusqu’à la marginalité la plus atroce qui soit.
Le vécu et l’indignation
Le roman, particulièrement bien pensé, est magistral, car il sent à la fois le vécu mais aussi l’indignation. Le refus de se taire, de cacher les choses. Le besoin de dire, de raconter d’une manière efficace et autrement plus persuasive que des campagnes de sensibilisation aussi coûteuses qu’inefficaces car trop propres sur elles. Autre point important, ces pages ne jugent pas ceux qui glissent dans la came, jamais. Et c’est essentiel, car tous, nous pourrions connaître un jour le sort d’Arnaud, Nadia et tous ceux qui croisent leur route. Passer de l’autre côté du miroir, et connaître l’horreur.