L’Express : Le capitalisme familial, un point noir du modèle français
EN FRANCE, l’entreprise familiale a plutôt bonne presse. Les héritiers, soucieux de maintenir la réputation du fondateur et de s’en montrer dignes, feraient, en fait, preuve à la fois de prudence dans les investissements et de rigueur dans la gestion au quotidien. Dans Le Crépuscule des héritiers, Denys Brunel balaie cette idée. Pour lui, l’Histoire permet d’affirmer que le maintien de la famille aux commandes sur plusieurs générations finit par se révéler néfaste, notamment dans le cas des grandes entreprises. Ingénieur de formation – il est centralien –, aujourd’hui à la retraite, l’auteur a mené une carrière de dirigeant, dans des secteurs divers avec une dominante dans la grande distribution. Certaines sociétés étaient justement des entreprises familiales.
Fort de cette longue expérience professionnelle, il développe dans son livre une analyse assez large des faiblesses de l’économie française. A celles générales et connues d’une présence excessive de l’Etat que traduit une fiscalité particulièrement lourde, et d’un état d’esprit ambiant hostile à la réussite économique, il ajoute un certain conservatisme «paysan ». Cet attachement à l’héritage et à la transmission systématique des patrimoines de génération en génération en serait une des manifestations les plus évidentes. Le principe de cette transmission lui paraît injuste, car contraire à l’égalité des chances, qui est à ses yeux l’idéal que la société doit rechercher. Sur le plan pratique, cet attachement aurait aussi démontré toute sa toxicité, en particulier dans l’évolution à long terme de notre appareil productif.
Pour établir cette nocivité, il retrace dans des chapitres particulièrement bien menés l’histoire de quelques grandes sociétés françaises, des Galeries Lafayette à Lagardère, en passant par Dassault ou Auchan, entreprises familiales qui ont plus ou moins souffert des affrontements entre les membres de la famille et de l’action de certains hauts responsables qui devaient leur pouvoir davantage à leur nom qu’à leur compétence objective.
La conclusion qu’il en tire est qu’il faut cesser de s’enthousiasmer sur d’artificielles sagas familiales. De façon concrète, il propose une réforme fiscale alourdissant fortement les droits de succession et permettant de réduire simultanément, grâce aux sommes ainsi collectées, les impôts des entreprises. Malgré quelques longueurs et digressions qui nous éloignent un peu trop de son sujet, le livre, par la thèse originale qu’il défend et par l’argumentation assez convaincante qu’il développe, mérite d’être lu et d’être pris en considération par nos dirigeants politiques. Jean-Marc Daniel