La Revue des Deux Mondes : « Province of Freedom »
L’intérêt profond de ce livre est de donner l’essentiel des clés du monde impérial et colonial de l’Afrique atlantique du XIXe siècle. Thierry Paulais pratique une langue claire et s’interdit tout manichéisme pour évoquer l’épopée saisissante des esclaves fugitifs d’Amérique.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, un puissant mouvement d’opposition à la traite s’est rapidement imposé. Les abolitionnistes venaient tant des Eglises chrétiennes anglo-saxonnes que des penseurs humanistes au nom des Lumières ou encore des physiocrates démontrant que les hommes libres travaillent de manière tout simplement plus performante que les esclaves.
Lors de l’insurrection des colons américains contre l’Angleterre à partir de 1775, cette dernière permit aux esclaves en fuite de se battre à ses côtés et les protège alors qu’elle quitta sa colonie. Nombre de Noirs trouvèrent refuge à Londres mais ils y vivaient de manière précaire. Un chrétien évangélique, Granville Sharp, entreprit alors de créer en Afrique une colonie agricole où les Black Poor s’administreraient eux- mêmes. En 1787, un premier contingent de quelques centaines de pionniers embarqua pour la colonie, nommée Province of Freedom, autour du delta de la Sierra Leone.
Une conception trop idéaliste de cette colonie mena à un premier échec et imposa d’en revenir, en 1791, à des principes plus autoritaires autour d’une direction européenne pour la nouvelle Sierra
Leone Company. Des esclaves d’Amérique, évacués par les troupes loyalistes en Nouvelle-Écosse, rejoignirent bien- tôt la Company. Parmi ces pionniers se trouvait Harry Washington qui avait fui la propriété de George Washington, père fondateur des Etats-Unis.
Las, en 1808, de nouveaux soulèvements contraignirent la Couronne britannique à reprendre directement les rênes du territoire, qui devint une colonie au sens moderne du terme, la Sierra Leone.
Ce double échec marquait la fin d’une belle utopie autogestionnaire, privée, sans recours aucun à l’esclavage.Surtout, la reprise en main de la Sierra Leone par les Anglais constitua une expérience coloniale séduisante qui ne pouvait laisser indifférentes les autres nations européennes. Par ailleurs, les grands pays abolitionnistes désireux d’éradiquer l’esclavage à l’intérieur des terres africaines étaient enclins à maîtriser militairement les côtes, puis les hinterlands, et à pousser toujours un peu plus loin leurs avantages…
Les Églises suivront de peu les armées et le triptyque christianity, commerce, civilization présidera finalement au partage méthodique de l’Afrique lors de la conférence de Berlin en 1884.
On était loin de l’anticolonialisme des Lumières… > Jean-Pierre Listre