K-Libre : The wild side of Charleroi
Comme le jeu de mots du titre l’indique, il va être question d’une intrigue qui courre sur une durée de 24 heures et d’héroïne. Mais, si le concept d’une journée entière est respecté – le récit commence au réveil et s’achève le lendemain matin au réveil suivant -, celui de l’héroïne est limitatif. En effet, les deux personnages qui vont vivre et raconter cette histoire ne se contentent pas d’héroïne. Ils utilisent tout ce qui peut se fumer, se sniffer ou être injecté. Alors que la journée débute mal, Arnaud et Nadia n’ont plus rien à prendre, pas un centime d’Euro devant eux dans la ville de Charleroi et, en plus, des truands viennent leur faire peur en leur expliquant qu’ils n’auront plus accès à leur squatt. Seule nouveauté de leur journée : le père d’Arnaud vient chercher son fils et lui propose de rentrer avec lui en Thaïlande où il a trouvé fortune. Nous allons donc suivre la journée particulière de deux personnages, en alternance, chacun en racontant une partie. Entre prostitution, mendicité, violences diverses et variées, retour chez la mère de Nadia pour une séance très Orange mécanique, la déambulation des deux êtres s’accompagne de leurs joies, de leurs peines, de leur passé plus ou moins reluisant, de leur amour qui est à la fois une force (ils essaient vraiment de se soutenir) et un poids (car si l’un veut décrocher, l’autre le refait tomber dans la minute qui suit). C’est une description rude et parfois ironique (à un moment, Arnaud doit piquer sa compagne et ne trouve comme « porte d’entrée » de la drogue que son anus. Alors qu’ils se préparent, la mère entre dans la chambre ce qui ne peut que la surprendre devant cette position étrange.) avec des envolées sur Charleroi, ville de zombies drogués qui parcourent les rues tandis que les honnêtes gens ne savent plus quoi faire devant cette invasion. Les deux personnages sont présentés sans gloriole ni antipathie, comme deux êtres qui vivent comme ils peuvent. Arnaud a encore des chances de s’en sortir, mais le voudra-t-il vraiment ? Est-il prêt à suivre son père, pour la Thaïlande où il sera obligé de se sevrer, et abandonner Nadia ?
Le récit emprunte au noir, par sa description de la journée type d’un drogué, par les violences, les misères, la vie torturée que l’addiction entraine, en appuyant sur le côté glauque des choses. Mais tout ça est dépeint comme normal, sans volonté de juger. La situation est présentée sans être l’objet d’un jugement et le récit est parsemé de cette lucidité qui oscille entre le désespoir et l’ironie, entre le désastre qui s’empare des corps et la « joie » éphémère d’une dose parcourant un corps qui se déglingue, des dents qui se déchaussent. Les deux auteurs sont, de par leur profession, proches des milieux qu’ils décrivent, et ils ont insufflé à leur récit, en chapitres alternés sur les deux protagonistes de l’histoire, à la fois le côté vécu et un sens de la narration qui permet (ce qui peut apparaitre paradoxal) au roman d’être un reflet de la vie des toxicomanes, sans morale mais sans angélisme.
Citation : «Mes bras me chatouillent à en bêler, je me gratte et mes ongles trop longs sont des godets pour bulldozers et la seule chose qui m’arrête, c’est le souvenir de ce type, je ne me souviens plus de son nom, j’oublie tout, ma cervelle bourgeonne, ce type qui se grattait jusqu’au sang pour attraper ses poux et qui les collectionnait dans une petite fiole de méthadone vide pour leur parler la nuit.»