Description
Le long XXe siècle qui s’étale de 1880 à l’an 2000 voit la société française cristalliser de nouvelles peurs sociales qui construisent des figures de déviants : le vagabond, l’aliéné, le jeune délinquant… Elles s’attachent également à un certain nombre d’attitudes et de produits jugés dangereux parce qu’ils modifient les consciences : les psychotropes.
En 1916, quand est promulguée la première loi régulant les usages des produits toxiques, apparaît aussi le terme « toxicomanie » décrite comme étant une « (…) une perversion morbide engendrée par une dégénérescence psychique et que propage l’attrait du mystérieux, la recherche de sensations nouvelles, le snobisme malsain d’une certaine classe de la société ». Ainsi, le regard porté sur les usages apparaît, dès l’origine empreint de moralisme. La définition inclut dans les « usages pernicieux de produits toxiques », à la fois les « drogues » et les « drogués », oubliant les usages médicamenteux et les pratiques conviviales qui accompagnent le plus souvent la consommation. Tour à tour, ont été qualifiés de produits nocifs modificateurs de conscience, les « drogues » dures, l’alcool, le tabac et certains médicaments, alors même que ces produits bénéficient d’une complicité sociale étendue.
Pour sa part, la publicité a pour objectif avoué de promouvoir et valoriser l’objet, de construire une « image » textuelle et iconique forcément positive.
Curieusement, pendant longtemps, les innombrables réclames insérées dans les grands quotidiens n’attirent pas l’attention, elles ne suscitent ni enthousiasme ni réprobation, elles ne sont que de petites annonces parmi d’autres, manquant de visibilité. Durant le XXe siècle, la publicité va pourtant connaître des transformations majeures. Elle passe d’une entreprise artisanale, spécialement décriée en France où les industriels la jugent tout à la fois inutile, immorale, abêtissante et uniformisatrice, à des consortiums internationaux qui inondent désormais la presse de slogans et d’images de plus en plus frappants, et imposent un langage graphique de plus en plus subtil et planétaire. Alors que l’État a, depuis 1946, mis en place tout un arsenal législatif contre la promotion de l’alcool, du tabac et des médicaments, force est de constater qu’il existe une surenchère permanente entre l’ingénierie publicitaire et les interdits qui tentent de la brider. Plus la contrainte est forte, plus les « créatifs » des agences de pub font preuve de rouerie.
Comprendre comment la publicité de presse en faveur des substances psychoactives est devenue aujourd’hui, malgré ce cadre juridique toujours plus contraignant, un « fait social total », qui déjoue continuellement les réglementations nationales et bouleverse les équilibres financiers, tel est l’objectif de cet ouvrage.